LE PLAN MÉTAPHYSIQUE DE LA RÉALITÉ
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LA RÉALITÉ INTELLIGIBLE (COSMOS)
La réalité intelligible est composée de structures invisibles qui ne possèdent pas de propriétés intrinsèques :
Structuralisme mathématique : Agencement, entre eux, des éléments constitutifs d'un ensemble construit, qui fait de cet ensemble un tout cohérent et lui donne son aspect spécifique.
Noumène / Réalité intelligible ; chose en soi. Un noumène désigne une chose ou un objet tel quel, sans qu'il ait été analysé par l'esprit humain auquel cas il est nommé phénomène.
La réalité intelligible représente l'objectivité et la disponibilité (immuable)
Objectivité / Extériorité ; Qualité de ce qui existe en soi, de ce qui est conforme à la réalité, indépendamment du sujet pensant.
Objet : Ce qui peut être pensé ; Existe en puissance et non en acte (potentiel)
Temps physique / Temps objectif : Déterminisme ; Ordre temporel ; Causalité irréversible (sens ordinaire du temps) ; Déséquilibre thermodynamique ; Ensemble des causes ou conditions nécessaires à la détermination d'un système physique à travers l'espace-temps.
Espace physique / Espace géométrique homogène et isotrope
Platonisme : théorie selon laquelle il existe des entités intelligibles en soi, dont le contenu est indépendant de la contingence de l'expérience sensible.
Platonisme mathématique : Le platonisme mathématique ou « réalisme en mathématiques » est une théorie épistémologique qui fonde l'objectivité scientifique sur l'existence d'entités mathématiques, nombres, grandeurs, figures géométriques ou structures, comme des êtres autonomes qui ne sont pas des artefacts de l'esprit humain. Ce ne sont pas des abstractions tirées du monde sensible, connues par les sens, ni de pures conventions, ni de simples instruments, mais des êtres jouissant d'une existence propre.
Les structures sont des états physiques :
État physique – Objectité / État objectif de la matière (les structures) dont les propriétés fondamentales sont connaissables par les sens ou la raison. Caractère de ce qui est chose en soi, indépendante du sujet
LA RÉALITÉ SENSIBLE (EROS)
La réalité sensible est composée de formes visibles qui possèdent des propriétés intrinsèques :
Formalisme mathématique : Système formel dont les mathématiques se présentent comme une pure construction de l’esprit. Tout système formel cohérent et récursif contenant l'arithmétique, possède une proposition qui n’est ni démontrable, ni réfutable
Phénomène / Réalité sensible ; Fait observé et perçu par les sens. Un phénomène incarne tout objet perçu, imaginé ou conçu par la conscience, qu'il existe ou non en dehors d'elle.
La réalité sensible représente la subjectivité et l'activité (évolutive)
Subjectivité / Intimité ; Qualité intérieure de ce qui appartient seulement au sujet pensant.
Sujet de la connaissance : Être qui connaît, considéré, non dans ses particularités individuelles, mais en tant que condition nécessaire à l'unité d'éléments représentatifs divers, unité en vertu de laquelle ces représentations apparaissent comme constituant un objet ; Chose pensante qui existe en acte
Temps psychologique / Temps subjectif : Présentisme ; Horloge relativiste ; Instant présent qui perdure à travers la conscience ; Prédominance excessive de l'état présent dans l'esprit, quel qu'il soit.
Espace phénoménologique : Lieu de conscience ; Corps phénoménal ;
Constructivisme : Théorie de la connaissance qui repose sur l'idée que notre image de la réalité, ou les notions structurant cette image, sont le produit de l'esprit humain en interaction avec cette réalité, et non le reflet exact de la réalité elle-même.
Constructivisme mathématique : Position qui considère que l'on ne peut effectivement démontrer l'existence d'objets mathématiques qu'en donnant une construction de ceux-ci, une suite d'opérations mentales qui conduit à l'évidence de l'existence de ces objets (correspondance preuve-programme / réel constructif).
Les formes sont des états mentaux :
État mental – Subjectité : Relatif au psychisme ; État subjectif de la matière (les formes) ; Prise de conscience d'un phénomène ; représentation intellectuelle de ce phénomène.
LA RÉALITÉ ABSOLUE (LOGOS)
La réalité absolue est composée d'une seule substance :
Substantialisme mathématique ou Super-substantialisme : position selon laquelle l'espace-temps quadridimensionnel est l'unique substance « physique » de l'Univers : toutes les propriétés physiques consistent en des propriétés, des points ou des régions de cet espace-temps. La « super-substance » est généralement associée à la géométrodynamique de John Wheller qui présente une tentative de décrire la géométrie de l'espace-temps sans recours à la matière.
La réalité absolue représente l'étanticité
Étanticité : Entente primordiale de l'étant (être de la disponibilité) ; Rapport où l'Être est proprement engagé ; Être au monde
Être : Exprime la totalité de ce qui existe, sans aucune condition. L'Être est l'évidence ultime de sa propre existence (l'absolument toujours) ; La pensée et l'Être sont une même chose => l'Être est, le non-être n'est pas.
Temps éternel : Éternalisme ; Ce qui existe de tout temps, aussi bien autrefois que maintenant, sans être détruit.
Énergétisme : Système philosophique qui, réduisant la matière à l'énergie, fait de celle-ci la source et la substance du monde.
Panenthéisme : Doctrine énonçant que le divin existe et interpénètre toutes les parties de la nature, mais que, dans le même temps, il se déploie au-delà d'elle. On distingue le panenthéisme du Panthéisme qui tient que le divin est tout entier dans l'univers, sans lui être ni extérieur, ni supérieur. Dans le panenthéisme, l'univers et le divin ne sont pas ontologiquement équivalents. Dieu n'est pas considéré comme le créateur ou le démiurge, mais plutôt comme la force éternelle qui anime l'univers, celui-ci n'étant rien d'autre que la partie manifeste de Dieu. L'univers existe à l'intérieur même de Dieu qui, à son tour, est diffusé en chaque partie du cosmos ou se trouve en lui.
La substance est un état permanent :
État permanent – Étantité / État éternel et étantique de la matière (la substance) ; Ce qui fait qu'un étant est ce qu'il est, sa nature ; Désigne la totalité de l'étant
Focalisons-nous sur la notion d'automatisme, c'est-à-dire l'activité qui permet aux lois physiques de s'appliquer de façon naturelle, et sans rien pour les arrêter, ou encore ce qui rend possible le fonctionnement autonome de notre corps biologique, sans l’intervention de notre conscience. En y réfléchissant bien, tous les systèmes de l'univers ne représentent que des ensembles de mécanismes et de réactions chimiques, suivant ainsi une trajectoire logique basée sur des propriétés prédéfinis. Cependant, qu'est-ce qui entraîne ces « ensembles cohérents » à continuer de fonctionner de manière cohérente ? Quelle force maintient l'univers réglé comme une horloge, le préservant ainsi de toute défaillance ?
LE LOGOS
Le concept de « Logos » peut être compris comme l'expression de la nécessité cosmique dans de nombreuses doctrines philosophiques et religieuses. Dans la pensée grecque antique, il désigne généralement la « raison organisatrice » sous-tendant l'univers, tandis que dans la tradition judéo-chrétienne, il est associé à la parole créatrice du Tout-Puissant et incarne la manifestation divine dans le monde matériel. La nécessité cosmique, en tant que potentiel guidant l'ordre universel, rejoint ainsi certaines interprétations du Logos, bien que la signification précise puisse varier selon les contextes historiques et culturels.
En phénoménologie, où la conscience et l'expérience subjective occupent une place centrale, le Logos est considéré comme le principe qui organise et donne sens à l'existence des concepts, représentant ainsi la façon dont la conscience structure les phénomènes et leur confère une intelligibilité. Ainsi, le Logos, défini par la phénoménologie, est lié à la manière dont la conscience élabore la forme et la cohérence à travers divers aspects du monde perçu. Selon cette théorie, le Logos ne serait pas simplement un principe cosmique, mais agirait également comme un « principe structurant » propre à la subjectivité humaine, influençant la manière dont nous appréhendons le monde qui nous entoure. Le terme « Logos » peut être interprété de manière à englober à la fois une dimension universelle et une dimension subjective. Sur le plan métaphysique, il s'apparenterait à un « guide universel » inhérent à la structure de l'univers, assurant son ordre et sa cohérence. Parallèlement, le Logos correspondrait en quelque sorte à une « origine intrinsèque » au cœur de la conscience individuelle, responsable de la structure subjective du monde vivant. Il agirait comme une force intérieure qui contribue à la construction du sens au travers de la perception. En résumé, il est ainsi conçu comme une réalité transcendantale, qui s'exprime à la fois à l'échelle cosmique et à l'échelle individuelle, unissant la cohérence de l'univers avec la structuration de l'expérience individuelle.
Et si notre propre naissance, ainsi que toutes les causes qui l'ont précédé, auraient été « orchestrées » par notre conscience post-partum ?
Cette hypothèse suggère que notre existence présente aurait une influence sur les circonstances entourant notre naissance, et peut-être même sur les événements qui ont conduit à notre existence. Dans cette optique, le Logos de la conscience pourrait en effet avoir engendré le cours des événements menant à la naissance de chacun. Cela impliquerait une « interconnexion » profonde entre la conscience individuelle et le tissu même de la réalité, influençant les circonstances de notre venue au monde. Si l'on prend en compte le contexte du Principe Anthropique, on peut envisager que toutes les caractéristiques de l'univers sont arrangées de manière à permettre l'émergence de la vie consciente, déterminant ainsi la conscience elle-même, en tant que Logos, a une certaine influence sur la configuration des conditions qui permettent l'existence d'individus conscients.
Le Logos correspondrait alors à une forme de « conscience universelle », immanente à la matière, qui serait connectée à notre conscience individuelle par le biais d'une « intersubjectivité ». De ce fait, l'énergie vitale qui anime la réalité matérielle sous le nom du Logos, pourrait concorder avec la notion du Panenthéisme, associé à celle du Panpsychisme. En d'autres termes, la Réalité absolue (ou le Logos) est composée d'une seule Substance à partir de laquelle la conscience universelle (l'Être suprême) demeure immanente à son principe. Si le Logos détient le rôle d'une force cosmique inhérente à la matière, alors il incarnerait la fonction d'une sorte de « providence divine » dans la Genèse de l'univers. Par conséquent, l'acte intentionnel à l'origine de toute l'existence se produirait par le biais de sujets conscients (la conscience individuelle) constituant les observateurs qui, grâce à leur perception des durées, donneraient un sens au déroulement des événements de l'univers dans leur propre réalité (sensible).
LA PENSÉE
Ce que nous appelons la « pensée » semble être à la fois automatique et consciente, créant ainsi une dynamique étrange. D'un côté, nous avons l'impression d'être constamment « en train de penser », où cette activité mentale peut se dérouler indépendamment de notre volonté, avec des flux de pensées qui surgissent sans que l'on puisse toujours les contrôler. De l'autre, la pensée est aussi ce qui nous permet de donner sens aux concepts, d'ordonner les idées, et de percevoir la temporalité de nos réflexions. Elle est un mouvement continu, un flux qui semble parfois s'échapper de notre contrôle, mais qui est aussi ce qui structure notre perception du temps et de l'univers. Bien que nous soyons souvent conscients de penser, nous ne pouvons pas arrêter ce processus de manière purement volontaire, ce qui renforce l'idée que la pensée est à la fois une activité spontanée et un outil de conscientisation. Pour apporter des précisions sur ce qui rend les facultés de la pensée si fascinantes, il serait pertinent d'aborder le lien entre la vitesse de perception et le phénomène de décohérence (en mécanique quantique), ne serait-ce que pour expliquer l'observation de la lumière à travers le prisme de notre attention.
La théorie de la décohérence s'attaque au problème de la disparition des états quantiques superposés au niveau macroscopique. Son objectif est de démontrer que le postulat de la réduction du paquet d'onde ne contredit pas l'équation de Schrödinger, laquelle décrit de façon déterministe l'évolution temporelle d'une particule massive non relativiste. L'idée de base de la décohérence est qu'un système quantique ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction avec un environnement qui possède un grand nombre de degrés de liberté. Ce sont ces interactions qui provoquent la disparition rapide des états superposés. En effet, selon cette approche, la configuration spécifique d'une onde-particule, lorsqu’elle interagit avec son environnement, engendre une « incohérence » entre les différentes possibilités de son état futur (d’où le nom de la théorie). Sur le plan mathématique, chaque interaction « déphase » les fonctions d'onde les unes par rapport aux autres, les rendant progressivement orthogonales, c’est-à-dire de produit scalaire nul. En conséquence, la probabilité d'observer un état superposé tend rapidement vers zéro. Pour apporter plus de détails au sujet de la réduction du paquet d'onde, il s'agit d'un concept de la mécanique quantique selon lequel, après une mesure, un système physique voit son état entièrement réduit à celui qui a été mesuré. La question philosophique de la réalité est soulevée, puisque la théorie suggère que ce que nous considérons comme la « réalité » possède une infinité théorique d'états tant qu'elle n'est pas soumise à l'« attention » d'un observateur (ou plus exactement perturbée par une mesure, entraînant une décohérence quantique).
Si notre conscience peut phénoménaliser une vitesse aussi extrême que celle de la lumière, elle pourrait également modeler notre perception avec une rapidité comparable, et faire émerger de la durée dans un univers qui n'aurait jamais connu de période sans observateur. Du point de vue de la lumière elle-même, les concepts de temps et d'espace n'existent pas, sa vitesse étant absolue. Mais quand un observateur mesure la trajectoire de la lumière depuis son propre référentiel, le mouvement de la lumière acquiert une durée, dont l'effet se propage uniformément dans toutes les directions en illuminant la matière. Si l'observateur devient inconscient, ce mouvement cesse d'exister avec lui. Cela laisse suggérer que la décohérence quantique se produit qu'à travers le prisme de sujets conscients qui, de par leur perception, sont conditionnés par la notion de temps psychologique. Ainsi, les impressions de durée, de vitesse et de mouvement (l'interactivité des choses) qui participent à l'expérience des phénomènes physiques, représentent des valeurs universelles totalement arbitraires. Il ne s'agit pas d'affirmer que les lois physiques n'existent pas indépendamment de nous, mais il en convient que ces lois ne requièrent pas de notion de durée pour s'appliquer hors observation. Dès lors que nous pensons, l'automatisme prédéterminé de notre réalité adopte une tournure plus romancée. Il arrive même parfois que l’on ait l’impression de se souvenir de plusieurs événements de notre passé, en pensant qu’ils appartiennent à des périodes différentes, alors qu’ils se sont en réalité produits à la même date...
LA MÉMOIRE
Il serait tout à fait possible de concevoir la mémoire comme une dimension fondamentale de l’être qui contient tout ce qui existe. Elle ne se limiterait pas à une simple fonction cognitive, mais s’étendrait à tout ce qui persiste dans le temps, comme une réalité intelligible. Chaque être, chaque phénomène, serait alors imprégné par une sorte de trame cosmique éternelle qui enregistre et préserve l’histoire de l’univers, en plus d'engendrer un mouvement temporel continu. La mémoire de l'univers se caractériserait alors par les lois de conservation (moment cinétique, quantité de mouvement, entropie, etc...). En d'autres termes, la mémoire confère au temps sa densité, permettant à l’être de ne pas se dissoudre dans son propre instant, mais de subsister, de se développer et de laisser une trace. Ceci est la preuve que l'espace mémoriel de la vie constitue en lui-même le vecteur de l'intersubjectivité et du savoir, révélant une évidence incontestable : l’esprit transforme les phénomènes réels en des existences éternelles. La raison tend à confirmer que ces « existences » semblent préexister indépendamment de soi. Pourtant, elles n’acquièrent pleinement leur essence qu’à travers le sujet conscient, qui les actualise sous forme de concepts. Sans notre regard, elles restent latentes, comme des potentiels d’existence, mais seule notre subjectivité les rend physiques. Pour ainsi dire, la vie consciente et les lois de la nature sont indissociables et ne peuvent pas fonctionner l'un sans l'autre.
L’écoulement du temps est un paradoxe. Il avance sans point de référence absolu, comme une rivière dont on ne saurait jamais remonter la source. On perçoit son passage, mais jamais « l’instant » où il naît. C’est une progression qui semble suspendue entre devenir et permanence. Cela rejoint l'idée que le temps n’a pas de fondement objectif dans l’absolu, mais s’ancre plutôt dans la conscience qui l’organise, un peu comme une histoire sans début fixe, mais avec une fin toujours fuyante. Même l'émergence de notre conscience individuelle est illusoire : on se persuade qu’elle a commencé quelque part, mais cette première étincelle de conscience est insaisissable et immémorable (nous en reparlerons plus tard). Mais puisque la Volonté de chaque être détermine ce qu'est le temps et l'espace, cette fonction universelle relève donc de la providence.
Les êtres vivants sont-ils capables de vivre dans leur propre conceptualisation de l'espace-temps ?
LA PHYSIQUE
L’Être et la physique sont indissociables et participent au même processus : actualiser la propre réalité de l'Être à travers l'interaction. Mais pour qu'un échange ait lieu, il faut qu’existent un extérieur et un intérieur, entre lesquels toute médiation doit être pleinement appréhendée. En d'autres termes, ce qui est perçu n'est ni en soi, ni hors de soi, mais dans les deux à la fois. Le mouvement temporel est alors indispensable à l'existence en tant que processus interactif, afin que l'Être puisse s'affirmer dans une dynamique où il se transforme et communique avec ce qui l'entoure. Si l'Être est conscient de son unité en tant que « puissance » indépendante des interactions, alors la frontière entre le « substrat conceptuel » et le « substrat physique » n'aurait aucune réalité. Dans cette optique, l’expérimentation ne serait pas fondamentalement différente de l’imagination, mais cette imagination serait contrainte par des règles qui s’imposent à la perception. Cela signifierait que la physique ne définit pas une limite stricte, mais plutôt un mode d’interprétation de l’existence, une manière d’organiser ce qui est perçu comme relation stable et reproductible.
La notion de fin, telle que l'Être la conçoit, possède un rôle essentiel dans l'appréhension d'une transformation ou du passage d'un état physique à un autre. Les règles qui régissent son existence sont présentes avec ou sans lui, donc il « est » indépendamment de ce qu'il expérimente. Si l'Être doute de sa propre étantité, c'est parce que sa conscience oscille entre son besoin d'interactions (la certitude de son existence) et son intuition d'une existence qui dépasse ces interactions. Ce doute n'est pas une contradiction, mais une tension fondamentale entre la manifestation physique de l'Être et son essence intemporelle (conduisant à l'incertitude de sa nature). En d'autres termes, l'être-là (ou le Dasein) ne cesse pas d'exister simplement parce qu'il ne ressent plus son existence. Si l'on considère la mémoire universelle comme un espace où toutes les expériences sont préservées, alors la conscience pourrait y être suspendue, hors du temps, jusqu'à ce qu'elle retrouve un support physique. Ce ne serait pas une « renaissance » au sens traditionnel, mais une continuation dans un nouveau flux matériel, où la conscience se reconnecte à la réalité physique. Dans cette perspective, l’Être ne disparaît jamais vraiment, il se recompose dans l'expérience. Mais « quand » est-ce qu'il décide d'exister ?
LE HASARD (PARFAIT)
Puisque la notion d'origine nous semble inconcevable lorsque nous la considérons comme une volonté capable d'exister avant toute chose et de commencer à partir de rien, le hasard pourrait être effectivement le meilleur candidat pour incarner l'Origine elle-même. Cependant, étant donné que le Non-être n'existe pas par définition, même sur le plan conceptuel, il est donc impossible que l'Être n'existe pas de toute éternité. Même si le hasard ne détient plus l'exclusivité de représenter l'origine de la création et de sa causalité (si rien n'a été créé ex nihilo), il peut néanmoins correspondre à l'origine du Début et de la temporalité. Autrement dit, le hasard constitue le principe fondamental du commencement de la réalité. Il représente l’acte par lequel l’Être s’affranchit intentionnellement de son propre contrôle, et transcende son propre engagement perpétuel à l'interactivité. Le hasard n'est donc plus un simple « choix aléatoire » dans l'apparition de l'univers, car il n'y a aucune attente préalable qui précède son effet. Il serait plus approprié de penser qu'il est le « déclenchement non intentionnel » du potentiel de l'univers le plus nécessaire. En d'autres termes, le hasard marque l'entrée de l'Être dans un processus de manifestation active ; il est le premier acte perpétué par le Logos. Loin d’être une anomalie, il s'agit du seul miracle qui ait permis à la réalité d’exister indépendamment de l'être-là, en tant que mouvement spontané.
LE COMMENCEMENT
Le temps n’est pas une flèche, ni une ligne, mais une sphère d’actualisation où le présent constitue l’unique réalité. En d'autres termes, le passé et le futur ne sont pas situés « derrière » et « devant », mais représentent deux modalités d’accès au présent : le passé comme mémoire (actualisation interne des traces), le futur comme projection (actualisation des possibles). Présumer que l'on « avance vers le futur » est déjà une déformation sémantique, on pourrait tout aussi bien affirmer que l’on « avance vers le passé », puisque chaque présent s'enracine dans ce qui fut. Par conséquent, il n’y a pas de direction temporelle, seulement une densification de l’Être dans l’instant. L'idée de flèche du temps provient de la représentation de l'évolution et du vieillissement, perçus comme un passage irréversible vers la nouveauté ou l'épuisement, donc vers l'avenir. Pourtant, le temps se déploie aussi dans le fait que le présent devient passé. Mais ce passé n'est pas réellement la trace du présent qui se déplace, il s'agit plutôt d'une immortalisation du présent vers lequel nous nous engageons. Chaque présent s’éternise en passé et s’ouvre en futur, sans jamais cesser d’être présent. La durée n’est pas une donnée objective, mais une construction de l’esprit, une façon d’ordonner et de créer une série d’actualisations pour leur apporter une continuité intelligible. Cependant, cette mesure demeure relative et arbitraire : nul ne peut dire combien de « présents » composent une seconde, puisque le présent n’est pas décomposable. Dans l’univers, il est même concevable que la dilatation du temps tende vers l’infini au cœur d’un trou noir, étirant indéfiniment deux instants contigus. Selon Bergson, la durée véritable (durée vécue) naît pas d'une succession de points, mais d’un flux qualitatif indivisible. Notre erreur est de spatialiser le temps, de le traiter comme une ligne divisible en instants mesurables, alors que le réel est un mouvement ponctuel. L’Être ne se perd pas dans le temps : il se tient toujours, intégralement, dans l’actualisation du présent comme point de départ. Sa manifestation ne s'épuise pas comme une énergie qui se consumerait à travers la durée ; elle n'est pas temporelle, mais immédiate. Autrement dit, le cours du temps en lui-même repose sur un principe spontané qui n'a ni avant ni après, car lorsque nous perdons conscience, nous en sommes encore au même point, aussi bien au « début » qu'à la « fin ». Ce que nous appelons la mort n'est pas une réalité « après » la vie en dehors de la conscience, mais une coïncidence avec chaque instant du vécu d'un être, qui ne s'achève jamais réellement, parce qu'il ne finit jamais de commencer.
Ce que l'on conçoit comme une « première fois » n’appartient pas au passé, mais relève d'une structure de l’éternité : l’Être ne cesse d’être « premier » à chaque instant. Or, si l’Être est éternel, alors l’« instant originel » n’est pas derrière nous, il est toujours en acte. Lorsque la conscience élabore une continuité mémorielle, il existe un « avant » et un « après ». Mais en l'absence de mémoire, il n’est plus possible de distinguer le tout premier événement de l'existence d'un événement quelconque. Dès lors, l’idée même de « commencement absolu » ne fait sens que pour une conscience située dans le temps. La première fois est en réalité toujours : le présent est cette « origine active » qui ne s'interrompt jamais.
L'ATTENTION ET L'ALTÉRITÉ
Pour répondre à la première question de mon argumentaire, notre expérience du présent pourrait effectivement exercer une influence directe sur notre naissance, même si notre vécu est déjà entamé. Ce qui s'est produit il y a une seconde fait toujours partie du présent, car il est impossible de se rendre compte que le « maintenant » n'est plus, sauf lorsque notre attention en décide ainsi. Tout est toujours « là » — le monde, la mémoire, les sensations — mais l’attention choisit ce qui émerge comme figure sur le fond, elle est la manière dont l’infini se rend « fini » pour se connaître. L’attention crée le réel vécu. Non pas dans le sens qu’elle invente la réalité, mais dans le sens où elle est l’acte de sélection qui fait qu’une possibilité parmi l’infinité devient « maintenant ». L’attention est la manière dont l’Être se donne à lui-même et conscientise sa propre disponibilité. Elle n’explique pas seulement comment l’Être se manifeste : elle est le mouvement même qui fait que l’Être « est » en acte. Être attentif à soi ne signifie pas « se regarder » activement, mais se laisser traverser par sa propre présence, car c'est l'acte d'attention qui fait émerger l’objet en tant qu’extérieur, et le sujet en tant qu’intérieur. La création résulte ainsi de l'Être lorsque son attention se porte sur lui-même, ce qui représente le point culminant du Logos une fois temporalisée. En d'autres termes, le Logos est l’expression de cette attention, et le cours du temps en est la traduction dynamique. Le monde de l'inconscient s'organise dans l'univers à travers l'automatisme de l'Attention (cosmique et individuelle), qui en constitue la condition, de sorte que la différenciation des objets apparaisse comme une exclusion attentionnelle opérée par l’esprit.
L’altérité désigne la qualité de ce qui est autre, distinct. Elle commence là où le savoir individuel s’arrête. Par cette évidence implacable, l'existence des autres n'a plus à être remise en cause. Nul ne peut être parfaitement connu, pas même soi. Ce principe fonde ce que l'on appelle l'objectivité : Une chose n’existe pas en soi telle que le sujet la connait, elle existe aussi par ce qu’elle lui cache. Cependant, tout savoir peut englober la prédictibilité du comportement d'un objet ou d'une personne selon un certain degré de précision ; il s'agit de l'intersubjectivité : un espace où les consciences peuvent s’accorder sans jamais se confondre. L'intersubjectivité ne supprime pas l’altérité, elle la rend communicable, elle la module. C’est le terrain du Logos. Sans altérité, il n’y aurait que l’Être, mais rien pour qu’il soit. En d’autres termes, « être », c’est déjà être-autre. Loin de représenter une « seconde existence », l'Être est tel que l’altérité surgit spontanément de lui. C’est précisément parce que l’Être ne se connaît pas absolument qu’il laisse advenir l’autre, le monde, la conscience individuelle, la relation. Rien n’est hors de ce qui existe, car l’inconnu ne peut pas venir d’ailleurs. Il est ce qui contient l'Être sans encore se le manifester. Par conséquent, la création du temps permet de combler ce qui n'a pas encore été connu. Mais puisque rien n'est connaissable à 100%, l'espérance de l'Être devient infinie, et sa condition parfaitement complète. Le temps est ainsi une extension de ce qui est autre, non le témoin d’un changement ponctuel de l’être-là.
LA PUISSANCE
La puissance est la faculté de produire un effet, une simple condition de devenir ce qu'on n'est pas encore, non par soi-même, mais en soi-même. Autrement dit, c’est la capacité d’être autrement, qui précède toute manifestation et toute actualisation, la possibilité d’exister en devenir. Chaque effet de l’Être constitue une forme d’actualisation de sa puissance, rendue possible parce qu’elle est un aspect nécessaire de l'existence : impossible pour l’Être de ne pas avoir de puissance, tout comme impossible pour lui d’Être. Pour Spinoza, puissance et existence sont indissociables, car « l’essence d’une chose implique son pouvoir d’exister et d’agir ». La puissance (conatus) est ainsi le principe fondamental de tout être : chaque chose tend naturellement à persévérer dans son être.