LES LIMITES DU PHYSICALISME
La thèse principale du physicalisme repose essentiellement sur le matérialisme méthodologique de la science pour tenter d'expliquer de façon simplifiée la configuration des propriétés de l'univers. Ce qui fragilise cette idéologie est l'anti-rationalisme de ses partisans lorsqu'on applique une décomposition sémantique sur les modèles scientifiques (en épistémologie). D'une part les physicalistes considèrent que la réalité ultime des interactions se compose uniquement d'entités matérielles, et d'autre part ils n'accordent aucune valeur à la méthode constructiviste qui situe la psychologie analytique dans le même registre que la physique. Or la matière reste une retranscription générale des « phénomènes distincts » dans les modèles classiques (atomisme), et la plupart des énoncés logiques ont besoin de s'imposer à l'esprit pour accréditer leur principe.
Afin d'élaborer des connaissances objectives à partir d'études empiristes, la physique a donc formaté un réalisme métaphysique qui établit le rapport entre l'objet à connaître (c'est-à-dire un objet représenté par du structuralisme mathématique) et le sujet qui connaît via ses facultés psychologiques. Chaque preuve s'appuie sur des sciences exactes et des sciences expérimentales. Par ailleurs, toute loi qui contredit l'observation oblige à une réinterprétation de l'observation. Voici quelques exemples :
1 – L'énergie du vide et la discontinuité de la matière
Aujourd'hui grâce aux avancées de la physique, on sait que le vide a une influence sur la matière. En réalité, « l'espace vide » contient de l'énergie fluctuante qui représente un ensemble hypothétique de particules virtuelles non-observables. Au sein de la mécanique quantique, l'interprétation de la masse, dite « inertielle », n'est pas une propriété intrinsèque des particules élémentaires, mais une propriété secondaire qui résulte de leur degré d'interaction avec le vide (champ de Higgs).
A l'échelle de Planck, la matière et la lumière sont des phénomènes physiques « discontinus » que l'on a synthétisé dans des systèmes discrets qui possèdent un nombre fini de valeurs. Par exemple, l'énergie d'un photon se transmet aux atomes par « paquets » puisque sa longueur d'onde ne possède pas de valeurs intermédiaires entre les niveaux d'amplitude (relation de Planck-Einstein). Autre exemple, les électrons se déplacent d'une orbite atomique à une autre sans traverser l'espace qui les sépare (saut quantique). Qui plus est, la physique moderne ne considère plus les particules comme des ondes réelles matérielles depuis la publication des travaux d'Einstein et de Broglie sur la dualité onde-corpuscule (probabilisme quantique). Cependant, l'état d'un objet subatomique est toujours calculé par une quantité locale (finie et déterminée) au moment de la mesure ; Son unité d'énergie - le quantum - est indivisible dans le modèle standard.
3 – Les entités mentales
La plupart des physicalistes contemporains ont admis l'hypothèse que l'univers était organisé par un dualisme de propriétés. C'est une théorie fonctionnaliste qui entend démontrer que les états mentaux (propriété de la perception et de l'expérience sensible) ne sont pas réductibles aux lois de la physique, bien qu'ils soient causés par des états physiques (dualisme non-interactioniste / émergentisme) :
« La thèse défendant l’irréductibilité des états mentaux se base sur un dualisme des propriétés. Le dualisme des substances tel que Descartes l’a soutenu conçoit deux genres de substances : les substances mentales et les substances matérielles. Les substances matérielles sont étendues, et leurs propriétés sont des modes d’extension. Les substances mentales, au contraire, pensent, et leurs propriétés sont des modes de pensée. Dans cette ontologie, la substance étendue ne pense pas et la substance pensante n’est pas étendue. Les caractéristiques de l’extension et de la pensée s’excluent donc mutuellement. Le dualisme des propriétés, quant à lui, affirme l’existence d’une simple substance physique (monisme), mais affirme aussi que cette simple substance peut posséder deux genres de propriétés : des propriétés mentales et des propriétés physiques – les premières n’étant pas réductibles aux secondes. »
Toutefois, pour justifier l'existence d'un état mental il est nécessaire de considérer que sa nouvelle propriété est de toute autre nature que la propriété de la substance qui compose ce même état. D'après la psychologie de la forme, appelée « théorie de la Gestalt », le caractère arbitraire de la perception est le produit exclusif de la pensée. Elle démontre que :
le monde et les processus perceptifs neurophysiologiques sont isomorphes, c'est-à-dire structurés de la même façon.
la perception consiste en une distinction de la figure sur le fond : le tout est perçu avant les parties qui le forment.
la structuration des formes ne se fait pas au hasard, mais selon certaines lois dites « naturelles » et qui s'imposent au sujet lorsqu'il perçoit.
Pour résumer cette théorie, notre activité psychique (la conscience) détermine en premier lieu la structure symbolique de l'objet et de son milieu par des schémas intuitifs (les gestalts), puis élabore par la suite des associations d'idées qui intègrent le mécanisme de la pensée en œuvre dans la classification des différences. Autrement dit, l'espace mental tend à prioriser d'abord l'apparition de formes globales (holisme), plutôt que l'analyse de leur composition (réductionnisme). Par empxele, le tpems nrsceiease puor lrie un mot famlileir est très iefnreuir a culei qu'egixe la peiecptorn de chcanue des lerttes qui cmopsoe ce mot. Le gestaltisme s'oppose en cela au fonctionnalisme. https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_de_la_forme
Le schéma du constructivisme met en relation l'esprit avec la réalité objective qui reproduit dans l'observation des phénomènes particuliers. Selon cette théorie de l'apprentissage, on affirme qu'il existe bel et bien un monde indépendant du sujet qui en prend connaissance (comme le réalisme scientifique). L'apport du constructivisme est vraiment essentiel en psychologie, car ses études ne considèrent pas la conscience comme une illusion. Les perceptions humaines qui sont construites par les phénomènes sociaux ne sont pas inaccessibles à la science car elles sont issues de structures sociales. C'est le « constructivisme structuraliste » de Pierre Bourdieu ; Il permet d'allier le rôle de l'individu dans la construction des savoirs et l'influence des structures sur ces individus. https://www.memoireonline.com/02/12/5414/m_Les-representations-sociales-et-pratiques-liees--lutilisation-des-produits-phytosanitaires-en14.html#:~:text=Toute%20recherche%20scientifique%20s'appuie,analyser%20son%20objet%20d'%C3%A9tude.&text=Mod%C3%A8le%20d'analyse%20en%20sciences,l'objectif%20et%20du%20subjectif.
Cependant, on préserve l'intériorité de l'esprit tel un concept non-mécaniste (donc pas scientifisé). Alors le constructivisme n'est pas un anti-réalisme, bien que sa théorie n'est pas vraiment en accord avec le réalisme traditionnel des sciences... qui pourtant intègre des critères métaphysiques.
4 – La subjectivité
La notion de subjectivité a un rôle majeur dans la compréhension du formalisme scientifique, et notamment dans le concept de simultanéité. Étant donné que le temps est défini, dans la théorie de la relativité, par la donnée initiale d'une horloge pour chaque référentiel, on peut en déduire que pour tout observateur, une horloge en mouvement semble ralentie par rapport à une horloge immobile. En d'autres termes, si deux événements simultanés A et B appartiennent à un système de coordonnées (α), et que l'observation se produit depuis le référentiel (β) qui est en mouvement par rapport à (α) et en direction de B, alors l'événement A sera observé avant l'événement B dans cette perspective. L'intervalle d'espace-temps que l'on a mesuré ici devient arbitraire selon le point de vue que l'on adopte. Par conséquent, l'observateur relativiste expérimente une modification temporelle perceptible dès lors qu'il possède une force d'inertie. La réalité du temps déterministe des physiciens (le « temps objectif ») est donc remise en question par la communauté philosophique, et devient fondamentalement contradictoire avec la métaphysique du temps psychologique. Pour faire simple, la problématique de l'instant présent réside dans le fait qu'il n'est jamais « actuel » en physique. Ainsi, l'interprétation de notre esprit sur le cours du temps identifie un instant particulier qui est absolument différent de tous les autres. Or la science n'est pas naturelle à l'égard du temps, et amène à intellectualiser l'évolution du mouvement temporel des objets physiques par des reconstitutions éternalistes (univers-bloc). Sur ce point, les connaissances objectives semblent déterminer l'existence de référents trans-empiriques qui participent à la conception de réalité intelligible.
5 – L'infini
Les objets mathématiques doivent être des projections parfaites de l'observation (tel est le postulat de la théorie des formes intelligibles / idées de Platon). Dans un repère géométrique se trouve des solides avec une infinité de points de dimension zéro qui sont contenus dans : les surfaces ; les droites ; les volumes ; etc ... Mais l'idéal de la science se perd dans ses paradigmes car la réalité absolue fait « abstraction » de l'Objet en lui ôtant ses propriétés particulières. De ce fait, l'univers objectif possède toujours de manière intelligible des propriétés générales, universelles, et nécessaires. Cela signifie que les connaissances scientifiques n'ont aucun moyen de justifier la réalité topologique des objets physiques formés d'ensembles infinis (on sait formellement que la matière est finie). Dans ce raisonnement, la forme n'est pas une propriété intrinsèque de l'objet, et pour allez plus loin, la théorie des formes n'est qu'un idéalisme mathématique chez les scientifiques.
La notion de continuité est une propriété topologique qui repose sur des calculs de nombres réels dans des ensembles infinis. C'est ce pourquoi Michael Dummett parle de « réalisme » en désignant le platonisme mathématique. Or il s'agit d'un abus de langage car les mathématiques ne constituent pas une science empirique et ne conceptualisent pas convenablement le formalisme des objets physiques. Les modèles scientifiques n'ont pas vocation à décrire parfaitement la réalité à cause de l'idéalisme des quantités infinitésimales. Il s'agirait plutôt d'outils prédictifs, d'instruments pour le déterminisme. Le réalisme platonicien semble être un concept caduc...
D'après la théorie de la calculabilité, il est impossible de conduire une inifinité de calculs en même temps (problème de l'arrêt). De ce fait, certaines suites algorithmiques forment des ensembles infinis non-dénombrables que les calculateurs analogiques ne parviennent pas à résoudre. C'est ce qu'on appelle dans le jargon des programmeurs, l'« indécidabilité ». En informatique, la machine de Turing révèle qu'il existe des fonctions non-calculables au travers de multiples réseaux de neurones artificiels. Pour les intuitionnistes, la faiblesse de l'intellection face aux systèmes absolus démontre que l'esprit ne peut pas tout calculer, bien qu'il détermine toujours un résultat. C'est pourquoi les structures de l'« infini quantitatif » forment une notion abstraite et non-rationnel dans la fabrication des objets conceptuels (les mathématiques restent une invention de l'homme).
« La conception intuitionniste des mathématiques en fait une science qui décrit nos constructions mentales. Les objets mathématiques, loin d'être des réalités « platoniciennes » objectives, autonomes et éternelles, sont des produits de l'esprit humain, accessibles par réflexion et par introspection. Chaque assertion mathématique peut être exprimée sous la forme : « J'ai effectué la construction A dans mon esprit » (A. Heyting, 1971). »
https://www.universalis.fr/encyclopedie/intuitionnisme/
En faisant référence aux notes de Kurt Gödel, ce dernier écrivait lui-même : « Mon théorème montre que le cerveau humain n'est pas une machine de Turing ». Ou encore : « Mon théorème montre que la mécanisation des mathématiques, i.e, l'élimination de l'esprit, est impossible, si l'on veut obtenir une fondation et un système satisfaisants des mathématiques ».
Il conclut dans l'un de ses articles consacré au théorème :
Ou bien il existe une infinité de questions de théorie des nombres auxquelles l'esprit humain est incapable de réponse, ou bien l'esprit humain contient un élément / est quelque chose de / totalement différent d'un mécanisme combinatoire fini tel qu'un ordinateur électronique. J'espère prouver sur des fondements mathématiques, philosophiques et psychologiques que c'est la seconde alternative qui est réalisée.
En d'autres termes, le théorème de Gödel n'est pas pertinent pour discuter des mathématiques elles-mêmes, mais de notre façon de faire des mathématiques. C'est d'ailleurs plutôt dans ce domaine qu'il trouve de véritables applications aujourd'hui, notamment dans les domaines de l'I.A.
Pour surpasser les oppositions philosophiques entre l'entendement humain et l'objectivisme, les dualistes estiment ainsi que les propriétés de la perception sont en partie liées aux structures anthropologiques de l'imagination. Le sujet de la connaissance accomplit donc une « restructuration » fictive de la réalité grâce à ses capacités cognitives (la pensée productive). D'après Hegel, l'esprit devrait correspondre à un « infini qualitatif » à partir duquel chaque être a le pouvoir d'interpréter l'esthétique de la sensibilité pour donner matière à la matière (intentionnalité).